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Planète Terre
Vivre en paix

Paysages couleurs

Intempérie, juste un rêve à la bougie

Vendredi 17 juin 2022 - Collines dans la brume

Un soir de novembre à la chandelle

Dans la cuisine.

Par la fenêtre : tiens, le jour tombe.

Douce chaleur dans la pièce éclairée par la lumière électrique.

Le chien regazrde par la fenêtre

Clic, obscurité brutale, panne de courant. Au même moment, il fait plus clair dehors. Par la fenêtre. Plus sombre dedans, plus clair dehors, amusant.

Par la fenêtre

Petit à petit le jour baisse. Le courant ne revient pas. La nuit se lève. Alors nous aussi. Nos yeux se sont habitués à l’obscurité, on en profite pour aller chercher la lampe à pétrole et 3 bougies poussiéreuses, oubliées sur leur bougeoir. Sur le manteau de la cheminée, de l’autre côté. La dernière flambée date de quelque temps déjà.

Revenus dans la cuisine, l’un de nous remplit la lampe à pétrole, l’autre craque une allumette et voici que 3 petites flammes vacillantes percent l’obscurité de la pièce. De leur chaude lumière orange, 3 petits soleils illuminent la table, tandis que le reste de la pièce s’anime d’ombres mouvantes.

On savoure l’instant, à regarder cette curieuse lumière inhabituelle.

Et puis, on allume la lampe à pétrole. La pénombre s’éloigne au-delà de la table.

Repas "aux chandelles", comme autrefois, il n’y a pas si longtemps. Nostalgie, le temps de manger en plaisantant, en évoquant des souvenirs. D’une époque où des pannes de courant survenaient de temps en temps.

Quand on vit à la campagne, on fait des provisions, on fait des stocks de trucs et de machins qui pourront bien servir un jour ou une nuit. Et bien, voilà. La soirée commence à la bougie, avec une évidence : pas d’Internet, pas de CD à écouter la musique, pas de télé à regarder un film, pas d’ordi. Il ne faut pas compter lire non plus, si on ne dispose pas d’un lustre comme dans le Casanova de Fellini.

Très vite on commence à s’agacer d’avoir oublié la frontale, comme si on faisait de la spéléo : on se heurte à un mur d’obscurité quand on va chercher quelque chose dans une autre pièce. Retour à la cuisine pour se munir d’une lampe à pile.

Nous pourrions faire de la musique si nous savions jouer de la flûte ou du saxo, du piano, du violoncelle, que sais-je ? Mais non. On n’a pas. On ne sait pas. Nous pourrions jouer aux Mille bornes, comme tout le monde, ou aux Dames, Aux Échecs. Bah ! quel ennui, ces jeux de société. Avec des enfants, encore, je ne dis pas c’est amusant. Mais là, non.

Nous pourrions quoi ? se demande-t-on en baillant à 8 heures du soir (ça nous fait rire). En fait, à la bougie on peut écrire sur du papier, on peut dessiner, mais peindre, il n’en est pas question.

À 9 heures nous sommes au lit jusqu’à 6 heures le lendemain matin. Petit-déjeuner à la bougie, toujours, puisqu’il ne fait pas encore jour.

Méditation rigolote

Neige sur le toit

Mi novembre 2019. Les arbres avaient encore pas mal de feuilles. Une neige collante est tombée la nuit précédente, paralysant le trafic dans la vallée du Rhône et cassant des branches, couchant des arbres sur les lignes électriques. Juste une petite chute de neige (10 à 40 cm) un peu trop tôt dans la saison. Résultat, une gigantesque panne d’électricité en Drôme Ardèche.

Pas d’électricité, donc pas de téléphone fixe. Pas de chauffage, sauf si on a un poêle à bois, ou une cheminée, ou un appareil au gaz. Pour certains, pas moyen de cuisiner sur la plaque vibrocéram ou dans le four à micro-ondes. On peut se consoler quelques heures avec son Smartphone si les communications passent dans la zone. Ensuite, il faudra attendre de pouvoir le recharger.

Si c’est un phénomène exceptionnel, on peut s’en amuser. Si le congélateur n’est pas trop rempli, on peut piocher dans les provisions avant que tout soit décongelé, juste bon à jeter.

Mais si ça recommence dans l’hiver, l’année prochaine et que ça devient une habitude les années suivantes. Pas de catastrophe, juste des épisodes neigeux à répétition, juste des pannes qui se prolongent sur plusieurs jours, plus la peine d’avoir un congélateur.

On peut aussi s’attendre à la panne sèche : plus d’essence, de gasoil, de mazout, de gaz (ça va coûter de plus en plus cher, ce qui revient au même pour les gens aux revenus modestes comme on dit). Bientôt plus d’électricité parce qu’il faudra bien fermer les centrales nucléaires les unes après les autres avant qu’elles explosent. Et comme 70% de l’électricité est nucléaire, la France étant le deuxième pays producteur, avec 58 réacteurs, derrière les USA, on peut redouter le pire.

Mais d’un autre côté, pas de souci, c’était mieux avant dans l’ancien temps, les soirées au coin du feu, quand il n’y avait ni bagnoles, ni avions, ni trains, ni bateaux à vapeur, ni camions, ni tracteurs, ni machines à laver, ni réfrigérateurs, ni congélateurs. Ah oui, c’était l’bon temps dans les villes et dans les champs.

Tout en écrivant sur le papier, je me prends à rêver, dans la pénombre des bougies. D’autant que quelques jours sans électricité, c’est un début de baisse de forme, de manque d’énergie, pour un monde ou une partie du monde en hyperconsommation énergétique.

Au 19e siècle on a cru au progrès et effectivement le 20e siècle a été éblouissant sur le plan technique, jusqu’à la bombe atomique (les Chinois peuvent se rhabiller avec leurs pétards). Le 21e siècle pourrait bien voir arriver la chute du chiffre d’affaires et des bénéfices, la plongée de nos sociétés dans la sombritude et la décrépitude de l’humanité. Une mort prématurée n’est pas non plus à exclure, un accident est si vite arrivé, Tchernobyl, Fukushima, une pandémie encore plus radicale que le Covid-19, des guerres pour la survie. Mais restons optimistes, envisageons plutôt pour l’Humanité une vieillesse tranquille, dans une maison Terre, sans électricité, mais, avec des jeux de société.

Bien évidemment c’est juste un rêve à la bougie (bientôt plus de pétrole et plus de bougie). Demain tout ira bien. La croissance et le développement sont sans limites, que dis-je, hors limite. Grâce à la volonté de puissance de l’esprit humain libéré de toute contrainte et au génie de quelques-uns. Plus d’électricité ? et alors. On trouvera bien quelque chose avant la fin du monde. Pomper l’énergie des trous noirs, par exemple, ou partir à la conquête de l’Univers avec les anneaux de transfert.

Après tout, les êtres humains sont bien arrivés à sortir d’Afrique. Et à pied, en plus.

Dans le brouillard

Soleil voilé

Le deuxième soir, même scénario à la chandelle. Le lendemain et les jours suivants, il neige de temps en temps et la neige s’accumule dehors devant la maison. La perturbation passagère semble durer. Le paysage se perd dans le brouillard quand cesse la neige.

Nous sommes perplexes : c’est moins drôle que le premier soir.

Pas de nouvelle du monde. Nos voisins ont disparu dans la tourmente : je suis allé à pied jusqu’aux premières maisons, tout est fermé, sans signe de vie. Comme s’ils étaient partis aux Canaries. Peu probable.

- Alors quoi ? dit-elle, sans vraiment demander.

- Ben rien, normal, dis-je, sans vraiment répondre.

À la réflexion, ma remarque est absurde, mais je ne la reprends pas. Pour quoi faire, d’ailleurs ? Elle a juste été posée là, sans être donnée. Autant la laisser en suspend. Au cas où.

- Tu sais quoi ? demande-t-elle.

Évidemment, non.

- Oui, mais je ne m’en souviens plus. Dis toujours.

- Il a dû arriver quelque chose, je me sens un peu bizarre, tu ne trouves pas ? dit-elle.

- Ah oui, je trouve aussi, mais quoi ? je te le demande.

- Et bien voilà, c’est justement la question : quoi ?

- Hein ? je demande. Je n’ai pas bien compris la question.

- Peu importe, insiste-t-elle légèrement agacée, ce qui compte c’est la réponse.

Et là, je ne dis plus rien.

On se met à réfléchir tous les deux. Le temps de changer une bougie qui s’est éteinte, puis une autre. Où est passée la lampe à pétrole ? Aller savoir.

Il me vient une pensée curieuse : Allons, princesse, il n'y a rien à craindre. Nos souvenirs ne se sont pas envolés pour toujours, ils se sont juste égarés à cause de cette maudite brume. Nous allons les retrouver un par un s'il le faut. N'est-ce pas pour cela que nous faisons ce voyage ?

- Je l'espère, dit-elle.

La nuit passe.

Le matin suivant, on met un anorak, un bonnet, des gants. On sort et on part sur le chemin. Arrivés à la route non déneigée, on part chacun de son côté.

Dans le brouillard.

Neige sur le chemin

Photos : Jacques Bouchut

La citation provient du livre Le Géant enfoui, Kazuo Ishiguro, 2015, Éditions des Deux Terres

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